04/2006 - Poisson d'Avril !
« C'est l'instant de se faire des signes » me rappelle la chanson d'un ami. En effet, ce soir, je n'arrive pas à éteindre mon ordinateur. Je me sens seule et pourtant je viens de dialoguer avec une multitude de femmes inconnues, plus charmantes et plus sympathiques les unes que les autres. Elles vivent aux quatre coins de la France et je ne connais pas mon unique voisine. Ainsi est fait le monde de nos jours. Le virtuel prend le pas sur le contact en « live ». Nous ne sommes plus capables de nous parler en face, nous nous cachons derrière nos écrans, bien au chaud chez soi. Prêtes à refaire le monde mais depuis notre fauteuil bien confortable.
Voilà après des heures d'échanges écrits, mes correspondantes sont allées manger ou sont sorties avec leurs vraies amies me laissant seule un vendredi soir... Et veille du 1er avril en plus ! A qui vais-je faire des farces, franchement ? Peut-être devrais-je sonner chez ma voisine demain, affolée, en lui disant que j'ai une fuite au plafond et que ça vient de chez elle ? Cela engagerait la conversation mais je ne suis pas sûre qu'elle apprécie ma blague à deux balles... Pour une première approche, je ne suis pas sûre que ce soit la bonne. J'ai même peur, au contraire, qu'elle me catalogue aussitôt de « la cinglée du dessous : à éviter » Celle qui a une araignée au plafond à défaut d'une fuite !!!
Alors, je me retrouve une nouvelle fois face à ma fidèle page blanche que je ne cesse de remplir de mots. J'ai appris au fur-et-à-mesure des années et des expériences à apprécier le silence parce que vivant souvent seule ainsi que les silences apaisants lors de dialogues mais pas encore la page blanche... Impossible, mes doigts ne peuvent rester inactifs alors que ma langue semble devenir de plus en plus paresseuse et ma voix, inévitablement, ne résonne plus autant qu'avant. C'est ainsi et j'avoue ne pas souffrir tellement de cette situation que j'ai finalement choisie.
Seulement, ce soir, il est vrai que j'aurais apprécié te prendre dans mes bras. M'allonger et me blottir contre toi. Au lieu de cela, tu es comme tous les soirs aux côtés de ton mari et de tes enfants. Certes, nous ne nous connaissons pas et pourtant je te croise quasiment tous les jours. Tu ne m'as jamais remarquée alors que je ne vois que toi, chaque fois. Tu illumines mes sombres journées. Parfois, je ne sors que pour te croiser sur mon chemin. Même les jours où je ne travaille pas, j'empreinte le chemin du boulot dans l'espoir de te revoir. Tu es toujours présente et si ponctuelle ; il faut dire que tes enfants vont à l'école et qu'il est préférable d'être à l'heure. J'espère toujours que tu me bouscules au coin de la rue.
Je ne sais rien de toi ou si peu. Et ce peu ne me réconforte guère : 2 enfants d'environ huit et dix ans. Et je crois avoir remarquée une alliance à la main des femmes mariées. Je ne t'ai jamais croisé avec monsieur mais je l'imagine aussi très beau. Car t'imaginer avec un laideron me fait trop de peine. J'espère qu'il est un homme prévenant et aimant également. Qu'il te mérite sinon je crois que je ne m'en remettrais pas.
Ce matin, 1er mars, je ne travaille pas. Pourtant, je me lève comme tous les matins. Vous savez désormais pourquoi. J'espère secrètement me trouver à l'angle de la rue de la République et de la rue Victor Hugo en même temps que toi. Je décide donc de partir plus tôt. Je me lance fièrement sur le chemin qui va me faire croiser ma belle. Je remonte la rue de la République et me trouve nez à nez avec toi. Tu es seule aujourd'hui. Que se passe-t-il ? Les enfants n'ont pas école ce matin ? Alors que fais-tu là ? Tu me souris pour la première fois. Je dois être rouge comme une tomate. Je me sens ridicule, je baisse la tête. Tu t'es arrêtée, là, devant moi. Je crois bien que nous venons de nous bousculer. Je me sens bien ridicule d'un coup. Je ne sais pas, je ne sais plus. Je ne me rappelle même plus de mon prénom alors il ne faut pas trop m'en demander. Je crois qu'elle me parle. J'essaie de sortir de ma bulle et tente de déchiffrer ses paroles qui s'adressent à moi.
- Excusez-moi, c'est de ma faute; j'arrivais si vite... Je suis désolée...
J'arrive tout juste à décrocher un « ce n'est pas grave » lorsqu'elle ajoute :
- Depuis le temps qu'on se croise, il fallait bien que ça arrive, de toute façon...
- Ah oui, excusez-moi, je ne vous ai pas fait mal au moins, je suis tellement maladroite et étourdie... Je...
- Mais non, surenchérit-elle, il n'y a aucun mal, je trouve même cela charmant, au contraire... Je suis Aude et vous ?
- Euh... Marina.
Nous nous regardons un peu bêtement, pas facile de parler à une inconnue comme ça en pleine rue. Je n'y crois même pas, je pense que je suis encore dans un rêve et que le réveil va sonner pour tout gâcher.
- Vous êtes pressée, je suppose, me lance-t-elle. Je vous croise tous les matins, vous me semblez tellement lointaine. Vous partez travailler, je suppose.
- Euh,... la semaine, oui... mais là, non, ... c'est samedi, je ne travaille pas en fait.
- Ah bon, eh bien, ça vous dirait d'aller boire un café ? Je n'ai pas eu le temps de le prendre ce matin.
- Vraiment ? Avec plaisir.
- Mais vous alliez peut-être quelque part ? Vous ne pouvez peut-être pas maintenant...
- Euh... Si, si, c'est bon. Je peux tout à fait reporter ma course. Vous voulez aller où ?
- Comme vous préférez, je n'habite pas très loin mais chez moi, c'est un peu difficile, le père de mes enfants doit passer les prendre tout à l'heure et je n'ai pas vraiment envie de le croiser... N'y a-t-il pas un petit café sympa dans le coin ?
- En fait, je ne sais pas. Si vous préférez, on peut le boire chez moi.
- Si ça ne vous dérange pas, avec plaisir.
- Bon, alors passons par la boulangerie, si vous le voulez bien, nous prendrons de quoi déjeuner.
Je suis en train de vivre un rêve éveillé, je n'ose lui demander de me pincer, de peur de lui faire peur ou de la faire fuir. Et puis si c'est un rêve et si le réveil se met à sonner, j'aurai au moins passé ce bon moment avec elle... Profitons-en.
Elle choisit un pain viennois, je trouve cela mignon. Je me suis acheté un croissant mais je sais pertinemment que je ne pourrais le manger; trop occupée à la dévorer... des yeux.
Je monte quasiment quatre à quatre les trois étages... Elle me suit sans difficultés. Je cherche nerveuse mes clés. Elles ne sont pas dans ma poche de veste et farfouille dans mon sac. Mais vous savez comment sont les sacs des nanas... Le mien est un gouffre. On y trouve de tout sauf mes clés. Je commence à paniquer. Me retrouver devant la porte de mon appartement avec la fille de mes rêves et bloquées toutes les deux devant ma porte, ce serait trop bête... Même pas digne d'un 1er avril... J'en profite pour faire un peu d'humour au moment où je les retrouve enfin. Je sens qu'elle est réceptive à ma blague et je ne suis pas peu fière de moi. Nous voilà chez moi. Si j'avais su, j'aurais repeint la salle à manger, mis une nouvelle nappe de couleur sur ma table de cuisine et laver les carreaux... Mais voilà, en tant que célibataire, je remets toujours cela à demain... Même pas de jolies fleurs coupées pour égayer mes pièces ni même les parfumer. Au lieu de cela, un cendrier plein sur la table avec cette odeur de tabac froid qui vous prend à la gorge. Je me précipite pour le vider dans la poubelle.
- Excusez-moi...
- Ne vous en faites pas, je fume aussi au grand désespoir de mes enfants. J'ai deux enfants, en fait. Adrien et Paul.
- Ah oui, vos deux fils... Ils sont mignons...
- Vous nous aviez déjà vu ?
- Ah euh... oui, votre visage ne m'était pas tout à fait inconnu, oui... Je me souviens vous avoir vue avec deux charmants garçons...
- Moi qui croyais que vous ne nous aviez jamais remarqué.
- Ah euh... Je ne suis pas toujours réveillée mais je remarque quand même quelques personnes sur mon passage...
- Sauf aujourd'hui !
- Pardon ?
- Oui aujourd'hui, vous ne m'avez pas vu et ce fut le choc !
- Ah oui, un vrai choc, je dois dire... C'est vrai...
- En fait, je vous ai remarqué depuis le début de la rentrée scolaire... je crois bien que l'on se croise tous les jours à la même heure... J'emmène les enfants à l'école... Elle est juste derrière chez vous en fait.
- Ah oui, c'est l'école qui se trouve dans la rue Mignonnette...
- C'est cela, l'école Flaubert.
- Bien...
Je ne sais pas si c'est à cause du choc mais je ne trouve pas vraiment les mots et préfère la laisser mener le débat... Après tout, qu'elle fasse comme chez elle...
- Et puis finalement, nous sommes presque voisines puisque j'habite à côté de la mairie.
- Ah oui en effet, ce n'est pas loin, mais ce n'est pas du tout votre chemin de passer par là... Vous devriez prendre par la rue Anatole France, c'est bien plus direct de chez vous pour aller à l'école...
- Oui mais bon, nous sommes passés par là au début d'année avec mes enfants parce que je voulais passer par le bureau de tabac... Et depuis, je passe toujours par là... C'est une question d'habitude...
- Mauvaise habitude de fumeuse !
- Non, je continue pourtant de prendre ce chemin même si je ne m'arrête plus forcément au bureau de tabac... Mais je ne regrette pas, cela permet de faire d'agréables rencontres, la preuve...
- Ah oui, et vous faites souvent des rencontres par ici ?
- En fait, non, juste vous aujourd'hui...
- Ah oui... c'est bien...
Bon, ma vieille, va falloir être plus loquace et surtout moins coincée si tu ne veux pas perdre la face devant cette belle créature. Pour l'instant, tu donnes l'image d'une pauvre fille sans répartie, fais quelque chose, elle va te prendre pour une demeurée et se barrer à toute vitesse...
- Vous êtes plutôt café ou thé ?
- Café, ça me va.
- Bien, je vous le prépare de suite.
- Ça ne vous dérange si je m'allume une clope ?
- Allez-y, faites comme chez vous...
- C'est plus fort que moi, j'ai besoin de fumer lorsque je suis nerveuse...
- Ah oui, vous êtes nerveuse ? A cause de votre mari qui doit passer chez vous ?
- Oh non, avec lui, ça va, j'ai l'habitude... Nous sommes séparés depuis plus d'un an maintenant... Mais pas encore divorcés... pour les enfants... Et puis parce que la situation ne nous l'impose pas... Nous sommes restés très amis...
- Ah, c'est pour cela que vous avez toujours votre alliance...
- Ah oui, vous avez remarqué... Je devrais en effet songer à la retirer mais je trouve que cela dissuade les coureurs de jupons...
- Peut-être mais personne n'osera vous aborder dans ces conditions.
- Cela m'est égal, je ne suis pas intéressée pour l'instant... Je suis déjà attirée par quelqu'un...
- Ah oui, c'est bien. Et ça ne complique pas la situation avec votre mari même si vous êtes restés amis, parfois la présence d'une tierce personne change les données... Il n'est pas jaloux ?
- Comment pourrait-il l'être, il n'est pas au courant.
- Et vous n'avez pas peur de sa réaction lorsqu'il l'apprendra ?
- Non, aucun risque. Nous nous sommes séparés à sa demande, il serait mal venu de me faire une scène !
- Ah oui, c'est lui qui est parti.
- En fait, d'un commun accord. Nous avons fini par nous rendre compte que nous n'avions plus rien en commun... Et puis, nous nous sommes connus très jeune. Trop jeunes. Je n'étais alors pas capable de m'affirmer comme femme. Et puis, beaucoup de changements se sont effectués dans ma vie... Mais nous avons souhaité des enfants.
- Pour tenter de ressouder votre couple ?
- Non, pas du tout. En fait, nous voulions l'un et l'autre des enfants et nous étions suffisamment proches... Je commençais à être déjà un peu vieille pour avoir des enfants, alors... D'un commun accord...
- Vieilles ? Vous plaisantez...
- Quarante deux ans, tout de même...
- Le bel âge !!!
- Au delà de trente ans, il me paraissait urgent d'avoir des enfants car je savais que je ne pourrais plus en avoir après cela.
- Tout de même faire des enfants à trente deux ans, ce n'est pas trop vieux ! Et puis la médecine a fait des progrès... Et puis, une jolie femme comme vous, cela n'aurait pas été difficile de trouver un autre mari...
- Mais qui vous dit que je cherchais un nouveau mari ? Je cherchais simplement un père pour mes enfants à ce moment-là... J'avais bien pensé à passer par un donneur anonyme mais je préfèrais que mes enfants connaissent leur père et qu'il soit présent pour leur épanouissement... Et j'avais confiance en Jean-Paul et comme lui aussi souhaitait être père...
- Ah oui ?
- Notre relation au fil des années s'est transformée et nous étions davantage des amis, un peu comme des frères et sœurs que des amants... Mais bon, je vous parle beaucoup de moi et vous alors ?
- Cela ne me dérange pas, je pourrais vous écouter des heures...
- Vous êtes bien élevée, c'est pour cela... Je m'invite déjà chez vous et puis je vous raconte ma vie... Je ne me reconnais plus.
- Je vous en prie, cela me plaît en fait...
- Et vous, alors ? Un copain, un mari, des enfants ?
- Oh non, rien de tout cela. Je vis seule avec mes deux chats.
- Ah oui, où sont-ils ? Je ne les vois pas. J'adore les chats... Jean-Paul était allergique alors j'ai dû laisser mon chat à mes voisins... cela m'a fendu le coeur...
- Vous pourriez peut-être le reprendre maintenant ?
- Oh mon dieu, non, il est mort écrasé...
- Je suis désolée...
- Ne le soyez pas, mais faites-moi plaisir, montrez-moi plutôt vos chats...
- En général, ils se lèvent lorsque je rentre mais généralement, il est aussi l'heure de manger pour eux... alors que là... à cette heure-ci... Ils sont sûrement dans leur phase de sommeil sinon ils seraient déjà venus...
- Vous pensez qu'on peut au moins aller les voir ?
- Si vous voulez. Ils doivent être dans la chambre. Mais je vous rpéviens, s'ils sont couchés sur mon lit, rien ne les fera lever... Mais vous pourrez les caresser si ça vous chante.
- C'est vrai, je peux ?
- Bien sûr, je vous en prie, venez... Je vais en profiter pour vous faire visiter l'appartement. Ici, c'est le salon, la salle à manger et le couloir avec de grands placards qui mènent à ma chambre... et à mes deux fauves...
- C'est lumineux et plutôt grand chez vous. Et j'aime beaucoup votre décoration.
- Merci. Alors voilà, Théodore, le matou gris et Pounette sa dame. Vous voyez ils ne dorment jamais l'un sans l'autre. Pounette est toute dévouée à Théo... à mon grand désespoir, elle est soumise au macho, que voulez-vous... Même chez les animaux, cela existe...
Mes deux chéris sont enlacés. Théo ouvre un oeil histoire d'observer l'intrus mais prête à peine attention à elle. Et Pounette, elle, fidèle à son gros pépère et confiante, ne daigne même pas saluer mon invitée surprise. J'ai envie de les secouer et de leur dire : mais enfin, c'est elle, la femme de mes rêves... Eh, réveillez-vous les deux, elle est là en chair et en os, chez moi, chez vous, chez nous... et dans ma chambre ! Et sur notre lit, même... Certes, je sens bien que vous n'êtes pas près à céder la place, pourtant, j'aimerais beaucoup rester là, sur mon lit pendant des heures et des heures mais, je ne suis pas folle, je ne tenterai rien de peur de la faire fuir sur le champs.
Aude se vautre littéralement sur mon lit... Il n'y en a que pour mes chats... On dirait que je n'existe plus. Et le gros père Théodore qui n'en peut plus... Vas-y que je ronronne...
- Je crois qu'ils m'ont adopté ! Me lance Aude.
- Ah oui, on dirait bien. Théodore est le plus sauvage des deux avec les inconnus; mais là, vous l'avez séduite...
- Il a confiance, il sent que j'aime les animaux...
D'un coup, je me sens gênée. Il faut le faire, gênée chez moi, dans ma propre chambre ! Je crois qu'il devient urgent que je quitte les lieux de peur de ne plus pouvoir me contrôler... mais elle ne semble pas décidée à partir et Théo ne semble pas non plus décidé à arrêter de se faire cajoler...
- Sacré Théo, toujours dans les bons coups...
Ces paroles m'ont échappé... Je me sens rougir... Alors j'essaie de sauver la face et tente une sortie :
- Je vous refais un petit café ?
- Non, merci, je suis assez nerveuse comme ça...
- Ah oui ? Pourtant les chats calment...
- Oui, je pense que c'est pour cela que je reste ainsi sur votre lit avec vos chats...
- Eh bien, je vous en prie, restez, faites comme chez vous...
- Merci, c'est gentil mais je ne voudrais pas vous gêner.
- Non, non, je vous en prie... ça ne me dérange pas.
- Vous semblez gênée pourtant.
- Non, non...
- Alors pourquoi ne pas vous asseoir... Vous semblez mal à l'aise-là, comme ça, debout devant votre lit... Je sais, cela peut surprendre... je suis ici, avec vous, chez vous et sur votre lit alors que ce matin encore, vous ne me connaissiez pas... C'est étrange, n'est-ce pas...
Je décide de me décoincer un peu et m'allonge à l'extrémité du lit... bien assez loin d'elle pour éviter tout dérapage incontrôlé. Quel supplice mais quel supplice que de se retrouver seule et si proche de cette femme qui me fait tant d'effets... Se rend-elle compte de l'état dans lequel elle me met ? Je vais finir par défaillir...
- A quoi pensez-vous, vous semblez ailleurs ? Je vous dérange, vous voulez peut-être que je m'en aille ? J'abuse de votre hospitalité et de votre gentillesse...
- Ah non... Surtout pas...
Ma réponse est sortie du coeur. Je l'ai fait sourire. J'ai bien peur qu'elle ait compris qu'elle ne me laissait pas indifférente. D'un coup, je regarde dans sa direction et constate qu'elle vient de découvrir la photo qui se trouve au mur... Je me sens super mal... En général, les inconnus ne pénètrent jamais dans ma chambre... Ce n'est pas prévu au programme de la visite. Ce lieu est tellement privé. Et il se trouve que j'ai fait agrandir une photo superbe de deux femmes qui s'enlacent... Aucun doute possible, aucune confusion possible. Et impossible de passer à côté non plus... L'horreur, je me sens comme démasquée... Elle va fuir, c'est sûr...
Je cherche un sujet pour lui détourner l'attention quand soudain, elle me lance, telle une gifle en pleine figure :
- Joli couple...
- Euh, oui, oui, c'est vrai... J'aime la photo, j'aime ce côté sensuel des corps entrelacés... et puis l'éclairage...
- J'adore ! C'est pudique et à la fois très explicite. Cela me rappelle un épisode d'un feuilleton que j'adore,... The L Word ?
- Vous connaissez The L Word ?
- Oui pourquoi ?
- C'est une série spéciale, quand même !
- Et alors, je suis ouverte à tout, vous savez... Ce n'est pas parce que j'ai été mariée et que j'ai deux beaux garçons désormais dans ma vie que je suis insensible... aux jolies femmes, vous savez...
Je reste sans voix. Et n'ose reprendre la parole. Je ne sais pas comment interpréter cette dernière phrase alors je rebondis et reviens sur la photo...
- En fait, vous ne les reconnaissez pas, ce sont Dana et Alice... Elles formaient un joli couple... Je trouve Alice vraiment très sexy sur cette photo... Je suis admirative ! Elle a un corps splendide mais la tenniswoman n'est pas mal non plus.
- C'est vrai... mais j'avoue que je ne les avais pas reconnues...
- J'aime beaucoup Shane aussi dans ce feuilleton. Ce côté rebelle. Malgré son côté androgyne, elle a un charme fou et elle ne laisse personne indifférent, c'est assez fou cet effet...
- C'est vrai, elle plaît beaucoup. Toutes les femmes et même les mecs tombent sous le charme... ça en devient parfois pénible, il n'y en a que pour elle par moment... Franchement qui ne craque pas pour Shane ?
- Moi...
- Oui mais vous ce n'est pas pareil.
- Et pourquoi cela ?
Elle ne répond pas à ma question mais précise :
- Vous n'avez rien à lui envier, vous savez...
- Oh, non... tout de même, elle a toutes les filles qu'elle veut dans ce feuilleton... Et toutes les filles lui tombent dans les bras !
- Et pas vous ?
- Non, pas moi, non... Mais d'abord qu'est-ce qui vous dit que j'aime les femmes...
Elle me sourit en guise de réponse. Un long silence et elle ajoute :
- Mais savez-vous au moins pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi vous avez le sentiment que les femmes ne craquent pas pour vous aussi facilement alors que vous avez à mon sens tous les atouts pour...
- Je suppose que je suis aveugle à vous écouter... Mais franchement, ce n'est pas vraiment cela mon problème... je suis toujours attirée par des femmes inaccessibles, voilà pourquoi...
- Vraiment ?
- Oui, vraiment. C'est toujours ma chance ! En général, je suis attirée par des hétéros, voilà pourquoi. Et bien sûr, il n'y a aucun risque pour que je les attire... Et alors, ça me fout en l'air...
- Mais qui vous dit que vous ne les attirez pas ?
- Je n'ai aucune chance de vivre une belle histoire... Et puis c'est trop compliqué... Elles sont souvent mariées avec des gosses, c'est la merde...
- ça ne veut rien dire, regardez-moi par exemple...
- Oui mais vous, c'est une exception si vous avez des gosses avec un mari qui n'est plus votre mari et avec qui vous vous entendez...
- Et alors ? Pourquoi aller chercher plus loin ?
Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris son allusion. Je reste sceptique. Sans m'en apercevoir, il me semble qu'elle s'est quelque peu rapprochée de moi. Sa main semble beaucoup plus proche de mon visage que de la tête de Théodore. Je n'ai rien remarqué car ce dernier ronronne encore. Pourtant elle a arrêté de le caresser... Je sens une douceur sur ma joue... Cette sensation trouble me chavire... Je reste sans voix... J'ai vraiment besoin qu'on me pince, il me faut me réveiller maintenant avant que je ne défaille complètement... Je sens à nouveau sa main sur ma joue.
Elle ne parle plus non plus et me sourit. Nos regards viennent de se croiser. Je crois que je lui ai rendu son sourire. Elle s'allonge sur le dos tout en continuant de me caresser le visage. Je la laisse faire, je suis toute à sa disposition... Elle me domine sans mal. Elle me tutoie et me supplie :
- Viens...
Je m'allonge timidement. Je bouscule Théo qui se lève mécontent. Pounette n'apprécie pas non plus le réveil en sursaut. Et comme s'ils comprenaient enfin qu'ils devaient laisser leur place, ils se dirigent au bon moment vers la sortie... Qu'ils sont bien élevés ces enfants...
Je me rapproche d'Aude. Je n'ose croire ce que je vis. Je la regarde et je me sens lui sourire à outrance. Je ne peux m'empêcher de lui sourire. Je suis aux anges. Je ne peux alors m'empêcher de lui avouer à cet instant précis :
- Je ne réalise pas que je suis là avec vous... Chez moi, sur mon lit... C'est irréel... Un rêve qui se réalise... Pincez-moi, je dois rêver...
Elle se met à rite aux éclats. Et ajoute :
- Non, je suis bien là, chez toi, près de toi et au risque de paraître vulgaire, j'ai très envie de toi, Marina.
- Ah oui, vraiment ?
- Tu m'as attirée dès que je t'ai vu... Et ça remonte à début Septembre, tu sais...
- Comment n'ai-je rien vu ? C'est impossible car moi aussi, je vous avais remarqué avec vos deux fils mais tu ne me regardais jamais ?
- Ah oui, vraiment, tu m'avais déjà vu ? J'avais l'impression que tu étais dans ton monde et ne me voyais pas... Et puis faut dire qu'avec mes deux gosses, tu ne risquais pas de m'accoster...
- C'est sûr... je n'aurais jamais osé...
- C'est bien pour cela que je me suis arrangée ce matin pour qu'on se bouscule au coin de la rue... Tu m'en veux ?
- Bien sûr que non.
- J'ai demandé à Jean-Paul de prendre les enfants et de les emmener à l'école ce matin... Il les a pour le week-end...
- Ah oui ? Tu es donc libre ce week-end ?
- Tout à fait libre !
Elle me sourit. Quelle pureté. Quelle beauté. Elle me transporte sur une autre planète et celle-ci se prénomme Aude... Une Aude à la joie en quelque sorte...
Elle s'approche de moi et me tend ses lèvres. Je me sens comme une débutante qui va embrasser sa première copine. Je suis intimidée comme la première fois... J'ai l'impression de trembler... C'est tout juste si ce n'est pas elle qui va me rassurer. C'est le monde à l'envers ! Elle me sent frissonner et se propose de me réchauffer en me prenant dans ses bras... Elle me susurre une nouvelle fois à l'oreille de me rapprocher d'elle, je me laisse faire, je suis à sa merci. Puis d'un coup, mon corps se réveille et souhaite se rapprocher d'elle. Aude passe ses mains sous mon tee-shirt. On dirait qu'elle a fait cela toute sa vie. Elle arrive à me mettre à l'aise :
- ça devrait être à moi de te mettre à l'aise !
- Et pourquoi cela, me glisse-t-elle au creux de l'oreille.
- Eh bien... je suis censée être plus habituée que toi...
- Et pourquoi cela ?
- Eh bien... je suis lesbienne, moi... Voilà pourquoi...
- Parce que tu crois que le fait d'avoir eu un mari et des enfants m'empêchent de savoir aimer une femme ? Petite sotte, me lance-t-elle avec beaucoup de tendresse, tu n'as même pas vue que je te désirais tant...
- Ah oui ?
- Tu es vraiment aveugle ! Je ne me suis jamais autant ridiculisée devant quelqu'un... et toi tu ne remarquais rien...
- Mais non, mais non, tu n'es pas ridicule, pas du tout. C'est moi... Je n'en reviens pas. Je suis aveugle en effet, mais comment ai-je pu ? Je suis décidemment très naïve... C'est insensé. Non, impossible, même. Je n'avais d'yeux que pour toi... Je me levais toujours avec l'espoir de te croiser... Et les jours où je ne travaillais pas, comme ce matin, je me levais et passais quand même par là en espérant te croiser... Tu es le rayon de soleil de ma vie depuis des mois et... !
- Vraiment ? Tu me flattes...
- Mais non, c'est moi qui suis flattée que tu te sois intéressée à moi... Jamais je n'aurais osé t'aborder... J'avais bien penser te rentrer dedans...
- Et ce matin, c'est moi qui l'ai fait... C'est moi qui ai osé...
- Tu l'as fait exprès ?
- Oui, je l'avoue... je l'ai prémédité et je t'ai accusé...
- Oh, c'est pas possible !
Elle m'embrasse une nouvelle fois avec fougue. J'ai l'impression de réapprendre à embrasser avec elle. Je sens qu'elle va me réapprendre à aimer également. Je suis aux anges, je veux rester toute la vie sur ce lit, à ses côtés. Pourtant, toute bonne chose a une fin. Nous ne ferons pas l'amour aujourd'hui, nous avons tout notre temps. Et qu'il est bon de laisser venir les choses en douceur. Ne précipitons rien. Nous en avons tellement rêvé, nous avons tant de fois souhaité vivre cet instant sans même y croire. Nous avions les mêmes fantasmes et aurions pu rester des années chacune de notre côté si Aude n'avait pas fait le premier pas...
Mais aujourd'hui, c'est samedi, ne l'oublions pas. Marquons ce jour d'une croix blanche. Je tourne les pages de mon semainier mural et découvre la page du 1er avril... Et cette année encore, seule devant mon calendrier, je me demande s'il n'aurait pas été plus simple de monter voire ma voisine pour lui faire une blague vaseuse digne de mes poissons d'avril habituels plutôt que de vous embarquer dans cette histoire abracadabrantesque...
Franchement, vous pensez vraiment que c'était une histoire à vivre pour un premier avril ?
Marie Mahn "Poisson d'Avril" / 31 mars 2006