12/2006 - Mon heure a sonné ! (à suivre)
Une fois de plus, la vie me semble insupportable. Que fais-je sur cette terre si ce n'est d'y perdre mon temps ? A quoi bon vivre plus longtemps ? Plus rien ne me passionne. Je me sens tellement vide et sans envies.
Pourtant, je n'ai pas le courage de mourir.
Alors, comment faire ? Quelle voie choisir pour m'en sortir ? Et si je devais encore vivre des dizaines et des dizaines d'années dans ces conditions ? Cela m'est vraiment insupportable. Inconcevable. Il me faut trouver une solution mais laquelle ?
Je suis trop lâche pour me flinguer mais si je trouvais quelqu'un pour le faire à ma place ? Ceci est une motivation comme une autre, je vais y réfléchir.
Je décide de me promener dans un quartier assez mal réputé de Paris. Ce genre d'endroit où même les flics détestent s'arrêter. Déjà, je prends suffisamment de risques en m'y rendant, peut-être vais-je simplement y trouver la mort et ainsi mon problème existentiel sera réglé ?
Des regards suspicieux me dévisagent. J'avance en baissant la tête.
Comment et qui accoster ? Et comment leur décrire la situation ?
« Bonjour, je suis Eléonore, j'ai l'âge du Christ et je veux mourir... Vous pouvez m'aider ? »
N'importe quelle personne censée m'enfermerait aussitôt mais ici, on devrait me planter aussitôt un coup de couteau pour avoir osé franchir la ligne blanche de l'interdit.
J'avance et toujours rien ne se passe. Je ne croise, semble-t-il, que des catins et des petits voyous. L'un d'entre eux fonce sur moi pour me proposer je ne sais quelle drogue dernier cri ! Je me débats à peine et si c'était la drogue de l'espoir ? Celle qui va me faire reprendre mes esprits ou me libérer de mon mal ? Et si je voyais enfin des éléphants roses, ma vie en serait peut-être plus réjouissante ?
Le jeune homme au visage buriné insiste. Il me faut lui répondre quelque chose de censé.
- Je... je ne sais pas... vous vendez quoi ?
- Que du plaisir ma jolie !!! Vas-y, prends-en, répond le truand.
- Je ne crois pas que ce soit ce que je cherche...
- Et tu cherches quoi ?
- Je ne sais pas trop...
- Tu te fous de ma gueule en plus ?
- Non... en fait, j'ai une mission à vous proposer...
-Quel genre ? C'est payé combien ?
- En fait, c'est un peu délicat, je ne sais pas comment vous le demander...
- Vas-y, accouche, j'ai pas la nuit.
- Pouvons-nous en discuter dans un endroit...
- Le café du coin, ramène-toi !
Il me tire par le bras en direction d'un vieux café de quartier. Rond-point des zonards de la nuit. J'y croise quelques alcooliques attablés au bar et deux prostituées transexuelles qui prennent leur pose. Tous me dévisagent.
- Salut Josie, lance mon jeune délinquant de bas étage, tu me mets un demi sur le compte de madame...
- Madame comment ? Me lance-t-il ?
- Euh... Jacqueline.
Jacqueline est le premier prénom qui m'est venu, ne me demandez pas pourquoi mais Eléonore ne me semblait pas coller avec le cadre et le lieu de débauche.
- Alors, j't'écoute Jacqueline. C'est quoi ton plan ?
- En fait, c'est un peu délicat ce que je cherche, comment vous dire ?
- Tu veux que je bute la maîtresse de ton connard de mari, c 'est ça ?
- Euh... non, pas vraiment... mais en même temps, il est vrai qu'il faudrait tuer quelqu'un...
- J'en étais sûr. Des nanas comme toi dans un quartier comme celui-là, à tous les coups, elles cherchent du lourd ! Mais tu vois, moi je ne dégomme personne... En revanche, je peux te trouver le bon mec ! Je prends 10% au passage...
- Et ça coûte combien de ...
- ça dépend qui c'est ? C'est pas un type connu au moins ?
- Non, non... rassurez-vous... c'est, en fait...
La tenancière lui amène son demi. Elle me demande :
- Vous n'êtes pas du quartier ? Vous voulez boire quoi ?
- En effet, euh... bonsoir, je... je prendrais juste un café, s'il vous plaît.
- Allez, ne te déconcentre pas... Alors c'est qui que tu veux buter si c'est pas ton connard de mari ? Ton patron ?
- Non, en fait, c'est moi !
- Quoi c'est toi ?
- En fait, je voudrais mourir mais je n'ai pas le courage, vous comprenez ?
- Bah non, je ne comprends pas ! C'est quoi cette connerie ?
- Je sais, ça peut paraître ridicule comme ça mais...
- En effet, c'est complètement con de mourir sans raison comme ça !
- Vous pensez pouvoir m'aider ?
- Eh les mecs, vous savez pas quoi ? Crie-t-il à l'assemblée.
- Non, ne faites pas ça, ai-je juste le temps de réclamer.
- Bah quoi ? On a peur ? Mais si tu veux mourir, il faut du cran et tu n'as pas l'air d'en avoir tellement !!!
- Vous avez raison, c'est une très mauvaise idée...
Je me lève sans réfléchir, me saisis de mon sac et me dirige vers la porte. De là, tous les regards se tournent sur moi. Il m'est demandé de payer la note. Je ne me retourne pas et prends mes jambes à mon coup. J'entends des remontrances mais ne les écoute pas. Je ne pense pas avoir été suivi mais je continue de courir sans savoir vraiment où je vais ni même où je suis.
Une main me saisit. Mon sang se glace. Et si c'était ma dernière heure ? Je me retourne mais préfère fermer les yeux. Une voix m'annonce :
- Pourquoi avoir fui ? Je suis l'homme de la situation, celui que tu cherches !
J'ouvre les yeux. Un regard noir me fait front.
- Tu veux mourir comment ?
- Quoi ?
- J'étais dans le bar tout à l'heure, j'ai tout entendu. Je m'en fou de savoir pourquoi tu veux mourir, je veux juste savoir comment et quand tu veux mourir ?
- Je... je ne sais pas trop... vous me proposez quoi ?
- Tu veux souffrir ou pas ?
- Ah non, justement, je ne veux pas souffrir... Faut que ça aille vite et surtout, faut pas me rater, vous comprenez ?
- Bon, mon prix, c'est 10 000€ ... en espèces...
- Tant que ça ?
- Je prends un gros risque ! Je tue quelqu'un quand même ! Et puis, je risque d'avoir ta famille au cul !
- Non, ma famille, y'a pas de risque, je n'en ai pas.
- Bah je risque d'avoir les keufs aux trousses, en tout cas... Et je risque de faire de la taule !
- Oui mais bon, 10 000 € c'est une somme tout de même, je ne peux pas sortir cela comme ça sans que ma banque...
- C'est à prendre ou à laisser !
- Tu peux tirer combien d'un distributeur de carte bleue ?
- Environ 2 000 € je crois bien...
- Ok, alors allons-y, ce sera un acompte... Allez, magne-toi.
- Ecoutez, faut peut-être que je réfléchisse un peu... C'est tout de même ma vie qui est en jeu...
- Tu me fais perdre mon temps, je ferai mieux de te planter maintenant !
- Bon, essayons de trouver un terrain d'entente...
- Suis-moi, il y a un distributeur dans cette direction.
Aucun mot n'a été échangé sur le trajet. Je ne faisais que penser au pour ou contre de ma décision. Arrivée devant la machine, l'homme m'adressa de nouveau la parole :
- Bon, vas-y, je prends déjà les 2 000 € en cash !
- Ecoutez, ce n'est peut-être pas judicieux de...
- Ta gueule ! Soit tu raques, soit tu y passes tout de suite !
- Ai-je le choix ?
- Je ne crois pas, non !
- Alors, tuez-moi qu'on en finisse !!! De toute façon, dans tous les cas, je vais mourir ! Mais j'aimerai autant ne pas me faire déplumer !
- Qu'est-ce que tu en as à foutre ? T'as pas de famille... Tu préfères donner ton blé à l'état plutôt qu'à moi, ton sauveur ?
- C'est pas ça mais j'ai fait don de mon argent à des associations caritatives en cas de décès... J'aimerai qu'il leur reste un petit quelque chose de moi, tout de même.
- Putain, t'es une emmerdeuse, toi. Je comprends que tu veuilles débarrasser le plancher. Personne ne doit te supporter !
Cette réflexion est de trop. Je m'effondre littéralement.
- Vous avez raison, je ne suis qu'une merde !
- Alors, justement, finissons-en ! Tu feras au moins un heureux !
Je compose mon code. Mes mains tremblent. Je tire les deux-milles euros demandés.
Je ne sèche pas mes larmes et lui lance :
- C'est tout ce que vous obtiendrez de moi ! Pas un euro de plus !
- Ça va, allez, barre-toi maintenant.
- Comment ça ? Et vous me tuez quand ? Comment ? Je veux savoir !
- Tu veux vraiment que je te le dise ?
- Evidemment... que je me prépare.
- File-moi tes papiers dans ce cas.
- Mes papiers ?
- Oui. Tout. Carte d'identité, permis, carte grise. Tu me files tout que je voie ça.
- Mais...
- Tu discutes pas, putain. Me crie-t-il agacé.
Je m'exécute péniblement.
Quelques larmes coulent encore sur mon visage.
L'homme observe mes coordonnées et ajoute :
- C'est là que tu crèches ? C'est la bonne adresse ?
- Oui.
- C'est bon, je garde tout.
- Mais enfin, vous ne pouvez pas faire ça...
- Tu oublies que c'est moi qui décides. Là où je vais t'envoyer, tu n'en as pas besoin alors que moi, ça peut me servir. Je peux en tirer quelques euros si je les revends. Ok ? Alors, maintenant, c'est bon, casse-toi !
- Mais comment ça va se passer ?
- Tu verras bien... ce sera la surprise... le moment venu... quand je serai près !
- Mais...
- Tu ne discutes plus, tu te casses maintenant où je te défonce la tête sur place et crois-moi tu vas souffrir ! M'hurle-til dessus.
- Non, s'il vous plaît... je ne vous demande qu'une chose, je ne veux pas souffrir.
- Ok, alors dégage maintenant. Ton heure viendra.
Je m'exécute. Je m'engouffre dans la bouche de métro la plus proche. Je rentre chez moi abasourdie. Je me sens comme un zombi. Je m'endors habillée sur le canapé.
Le réveil est difficile. Je me sens complètement larguée.
J'ai fait un drôle de cauchemar. Cela ne va pas arranger mes affaires. Si je me mets à mal dormir en plus de mal vivre, je n'ai pas fini. Je ne m'en sortirai jamais dans ces conditions. Je reprends mes esprits. Ai-je vraiment rêvée ?
Je me précipite sur mon sac à main. Je cherche désespérément mes papiers. Rien.
Je n'ai pas donc pas rêvé... Je suis vraiment... en surcie ?
La mort me guette donc à partir de maintenant ?
Mais comment ai-je pu me laisser ainsi manipuler ?
Comment ne pas avoir su au moins la manière dont j'allais mourir ?
Je vais me passer le visage sous l'eau. Il me faut reprendre mes esprits.
(à suivre)
24/12/2006