2002, Beaucoup trop tard !
Marc vient de quitter la ville pour la campagne. Il a toujours dit qu'à l'âge de la retraite, il quitterait le goudron pour retourner à la terre. C'est arrivé si vite qu'il n'a pas eu le temps de s'organiser mais a néanmoins respecté sa parole. « Que c'est triste la campagne lorsque l'on est seul à soixante ans » se dit-il. Aussi, il décide d'organiser une grande fête dans sa nouvelle demeure.
Il décide de recontacter tous ses amis et les invite à la pendaison de sa crémaillère. Il passe des jours entiers à faire des recherches et retrouve même des amis d'enfance, grâce au minitel. Même des camarades de classe qu'il n'a pas revu depuis environ une cinquantaine d'années. Les invitations fusent. La maison a la particularité d'avoir un salon immense ouvert sur la salle à manger. Il y a de quoi recevoir une ribambelle d'amis à défaut d'enfants et de petits enfants.
L'invitation était claire et la même pour tous. Quelque chose du genre « si vous vous souvenez de Marc KIMELT, dit « Marco », venez lui rendre une petite visite, dans sa nouvelle demeure, le samedi 19 septembre et surtout, soyez à l'heure précise et entrez tous en même temps ! »
Il a toujours été comme ça, le « Marco ». Un rien sinique et glauque ! Ceux qui s'en sont offusqués, ne sont plus de ses amis depuis belle lurette ou ne l'ont même jamais été.
André, Paul, Jacques, Solange, Pauline et son mari Antoine, sont arrivés les premiers. Il n'est pas encore 20 heures précise, ils attendent donc bien sagement dans la cour. Par chance, il fait doux ce soir. Michel, l'ami de toujours, arrive aussi. Bientôt, une trentaine de personnes se retrouvent devant la porte de leur hôte. Celui-ci n'a pas daigné les accueillir.
Michel prend alors les choses en main.
- Bon, il est bientôt l'heure et presque tout le monde est arrivé alors entrons !
Une femme intervient :
- Nous ne pouvons pas entrer comme ça !
Michel rétorque :
- Vous connaissez sûrement l'oiseau aussi bien que moi, il nous a encore préparé une de ses surprises... Cela doit faire partie de son plan. Alors, allons-y !
La femme bougonne son mécontentement, Michel lui répond :
- Ecoutez, vous pouvez aussi choisir de rester toute seule dehors, mais moi, je rentre !
Il frappe à la porte et appelle Marc qui ne répond pas. Michel essaie d'ouvrir la porte et il précise à l'assemblée :
- Vous voyez bien ce que je vous avais dit : la porte est ouverte, il ne doit pas être bien loin.
Il crie à l'attention de son ami Marc :
- Alors, vieille canaille, où se trouve la grosse araîgnée qui fait peur ?
Aucune réponse. Il rentre dans une première pièce, pas si rassuré que cela. Il s'attend même à recevoir un saut d'eau sur la tête : c'est bien le genre de son pote d'enfance.
- Bon, dit-il aux invités restés sur le pas de la porte, vous pouvez entrer, rien de suspect à l'horizon !
Il dépose sa veste au porte-manteau et propose aux autres invités de faire de même. Puis, il se rend jusqu'à l'immense pièce juxtaposée qui doit accueillir les convives. Il découvre alors la tablée, les buffets froids, les boissons... Des bougies d'ambiance se consument et une petite musique de fond les accueille.
- Vous voyez, il a tout prévu ce Marco !
Chaque invité a son nom indiqué devant son assiette. Les bouteilles de vin sont débouchées et disposées à différents endroits de cette grande table.
Michel, une nouvelle fois, décide de prendre les choses en main. Après tout, pense-t-il, je suis le seul à connaître les lieux et à connaître parfaitement Marco. Il lance alors à l'assemblée :
- Le plus simple est peut-être de s'asseoir à sa place et Marc va sûrement arriver.
Il décide de trouver sa place ; d'autres préfèrent attendre parmi lesquels la femme de tout à l'heure :
- Tout de même, vous allez un peu loin !? Cela ne se fait pas. Marc n'est pas là, il faut l'attendre ! En tout cas, moi je ne m'assieds pas !
- Encore vous ! lui rétorque Michel. Vous ne vouliez pas rentrer, vous avez fini par le faire à ce que je vois, vous finirez bien par vous asseoir ! En tout cas, moi je m'assierais dès que j'aurais trouvé ma place !
- Moi aussi, lance quelqu'un qui n'apprécie guère la petite plaisanterie et trouve le temps long. D'autres suivent. Chacun cherche sa place. Certaines femmes bronchent de ne pas avoir été placées à côté de leur mari tandis que ceux-ci s'en réjouissent. Cela amuse beaucoup Michel qui soupçonne Marco de l'avoir prémédité en connaissance de cause. Il est donc impatient de découvrir les deux voisines de table choisies par Marco. Il trouve son nom et discrétement regarde les noms de ses voisines. Françoise, d'un côté ; Germaine, de l'autre. Faut voir, se dit-il, un peu sceptique. Puis, il découvre un mot laissé dans son assiette à son attention, sous sa serviette. Tiens, c'est l'écriture de notre lascard, se dit-il intérieurement. Après l'avoir lue, il se targue d'avoir l'explication de pareilles mystères. Tous sont quasiment assis, sauf la rebelle et coincée de service à qui, il s'adresse :
- Bon, voici un début de réponse à vos interrogations, chère madame, lui lance-t-il. Notre ami nous demande de commencer sans lui : qu'est-ce que je vous avais dit ? Alors, venez vous asseoir, chère...
Il marque un temps d'arrêt et poursuit :
- ... chère Françoise !
Elle s'offusque :
- Parce qu'en plus, vous connaissez mon prénom ? Ne me dites pas que Marc vous le précise dans son message.
- Si justement ! Venez voir par vous même.
Elle s'approche et lui prend le mot des mains :
« Michel, je suis obligé de partir, commencez sans moi. Tout est prêt, je te charge de l'intendance. Je te fais confiance, tu superviseras à merveille. Merci de gérer la situation, de choyer et d'amuser tous mes amis. Prends bien soin d'eux et, d'une certaine façon, dis-leur bien que je suis quand même parmi vous. Au fait, j'ai une petite surprise mais à toi de voir si elle est placée à ta droite ou à ta gauche, à toi de savoir si tu préfères les grosses moches mais gentilles et dévouées, aux belles femmes de caractère et de style !? A plus tard. Marco.
P.S : Si je ne suis pas là à 22h30, appelle sur mon portable. »
Elle se met à rougir et précise :
- Mais, nulle part, il ne donne mon prénom !
- Vous avez raison, je l'ai deviné.
- Arrêtez de vous moquer de moi.
- Je tentais simplement de vous définir mais je crois qu'effectivement, vous avez du caractère. Alors, asseyez-vous près de moi, je suis sûre que nous allons très bien nous entendre, Mademoiselle MARTIN.
- Mais...
Elle réalise alors qu'elle est la seule à n'être installée et que tous les autres convives ont commencé à discuter entre eux.
- Je vois... précise-t-elle amusée... vous n'avez aucun mérite !
- Aucun. Je sais simplement observer autour de moi.
Elle regarde, à son tour, le nom qui est indiqué devant le verre de son voisin.
- Michel LEGRAND : comme le compositeur ?
- Oui mais c'est tout ce que j'ai en commun avec lui, poursuit-il. Et je ne suis absolument pas en famille avec lui. Bon, ce n'est pas le tout, vous avez lu ce message, je vais donc prendre les choses en main.
Il se lève et lance à l'assemblée :
- Chers amis, Marc sera très en retard, au vu du petit mot qu'il m'a laissé mais il précise que l'on commence sans lui. Je vous propose donc de commencer par l'apéro qui, j'en suis sûr, va le faire venir !
Les convives se détendent et, avec regret, acceptent de commencer sans lui. Michel se lève et va servir les apéritifs, une femme le suit et lui propose ses services. Bientôt tous les joyeux drilles sont servis et peuvent trinquer à la santé de Marco.
Michel lance :
- Buvons à la santé du joyeux disparu !
D'autres reprennent en coeur.
Une femme demande, hésitante :
- Mais, personne ne sait où il est au juste !?
Elle ajoute, inquiète :
- Pourvu qu'il n'ait pas de problème grave !
Michel intervient pour les rassurer :
- N'ayez crainte. Le connaissant, il est en train de conclure avec une jolie brune par là.
Un gai luron ajoute :
- On n'est peut-être pas prêt de le voir alors !
Certains rient de sa réflexion ; d'autres en sont gênés ou déçus :
- Tout de même, j'ai fait deux cent trente kilomètres pour le revoir !!!
Une femme renchérit :
- Et moi, j'ai passé la journée dans le train !
Un autre essaie de les calmer :
- Enfin, vous le faites pour lui ou pour vous ? Il va bien finir par arriver de toute façon !
Michel demande un peu de compréhension générale :
- Ecoutez, commençons sans lui, un point c'est tout.
Il se rassied et engage la conversation avec sa jolie voisine de droite, laissant, bien évidemment, « la gentille et dévouée » pour son autre voisin de gauche.
Il apprend alors que Françoise a été la fiancée de Marco.
- Je me souviens bien d'une certaine Françoise que Marco voyait en cachette de ses parents et... même, voire surtout, de ses potes ! Pas fou, le Marco ! Il m'a souvent parlé de vous mais je n'ai jamais eu la chance d'être présenté, voilà qui est fait !
Michel réalise que certains ont déjà pris l'initiative de se servir au buffet et s'en réjouit. Il précise à Françoise :
- Vous voyez, les gens prennent vite le plis. Ou plutôt leur estomac !
Il se lève à son tour et se dirige vers les salades composées. Il remplit deux assiettes variées dont une est proposée avec courtoisie à Françoise.
Tout en lui faisant un petit signe en guise de remerciement, elle lui dit :
- Moi aussi, Marc m'a parlé de vous. Mais, il a ommis de me dire que vous étiez un galant homme !
- Vraiment ?
- Oui, il m'a décrit un homme plutôt « fort en gueule » pour reprendre ses termes et de « culotté » !
Il se met à rire et ajoute :
- Mais, c'était il y a trente ans de cela !!!
- Vous pensez qu'on change sa nature profonde en si peu de temps ?
- Je ne le pense pas, je l'affirme : j'en suis la preuve vivante. Marco pourrait vous le dire, s'il était là.
- Oui, d'ailleurs, quelle heure est-il ?
- Déjà 21h30.
- N'est-ce pas inquiétant, tout de même.
- Ecoutez, je ne sais pas trop quoi en penser. Peut-être a-t-il eu des regrets. Peut-être n'avait-il plus envie de vous revoir après toutes ces années !?
- Vous êtes bête ! lui lance-t-elle, furieuse.
Il se met à éclater de rire.
- Pardonnez-moi. Marco ne vous avait pas dit que j'étais drôle, peut-être.
- Non, pas vraiment !
- Pourtant, je le suis.
Il se lève et lance à ses compères :
- Les amis : savez-vous pourquoi les hommes politiques se mettent-ils si facilement à l'euro ? Alors ?
- Non, répond André, impatient de connaître la réponse.
- Uniquement parce qu'ils ne sont pas très francs !!! répond Michel, fier de sa blague.
André qui connaît bien Michel ajoute :
- Sacré Michel, t'en as toujours une bonne à nous raconter.
Un autre joyeux phénomène renchérit et la soirée prend une tournure de joyeuses blagues.
Le stock de plaisanteries épuisé, le repas bien entâmé, Michel propose alors à ses comparses d'attendre Marco pour le dessert.
Il monte le son du magnéto cassette qui tourne en boucle depuis des heures, baisse les hallogènes et propose de danser un peu pour digérer le repas. Les bougies vacillent plus que les invités qui ont du mal à se prêter au jeu. Puis, une nouvelle fois, Michel assure. Il va chercher les femmes et leur propose de danser. D'autres hommes finissent par faire de même et la soirée prend tournure de bal. L'ambiance bien avancée, Michel retourne s'asseoir près de Françoise :
- Et voilà, lui dit-il.
- On dirait que vous avez fait cela toute votre vie.
- C'est ce que me dit toujours Marco, en effet. C'est inné, un point c'est tout. D'ailleurs, accepteriez-vous de danser avec moi ?
- Mais...
- Ne recommencez pas avec Marco ! L'enfoiré nous a bien eu ; si cela se trouve, il a prémédité son coup et avait prévu de ne pas venir !
- Vous croyez qu'il en est capable ?
- La preuve !!!
Mademoiselle MARTIN se décoince et accepte une danse. Puis deux. Elle semble y prendre goût lorsque quelqu'un lance :
- Le voilà, c'est Marc !!!
Les invités reprennent un « Aaah ! » de joie en coeur. En effet, la porte d'entrée vient de claquer et quelqu'un appelle :
- Il y a quelqu'un ?
- Ici, Marco !!! lance une femme.
Michel va au devant de son ami. Il ouvre la porte de la salle qui mène au couloir. Il découvre avec effroi, un étranger vêtu d'une tenue de serveur :
- Bonsoir, vous êtes bien Marc...
Il cherche le nom sur son papier chiffonné :
- Marc... KIMELT ?
- Non, je suis son ami, pourquoi ?
- Il nous a commandé une pièce montée pour 22h précise. Nous avons eu du mal à trouver. C'est un peu paumé par ici. Je suis désolé, nous sommes un petit peu en retard.
- Ne vous en faites pas, lui aussi.
- Pardon ?
- Non, enfin, je veux dire... faites ce que vous avez à faire.
Il retourne à sa camionnette et rapporte avec son collègue une immense pièce montée. Pendant ce temps, Michel prépare les invités, bien évidemment déçus. Michel retourne au devant des serveurs et leur indique le chemin. Ils découpent le gâteau et plus personne ne parle. Il y a un silence de mort. Une femme craque et se met à pleurer. Son mari s'excuse en disant :
- Ce n'est rien, elle a un peu trop bu. Allez, Josiane, lui demande-t-il, ressaisie-toi.
Les serveurs ne comprennent pas l'ambiance. L'un d'entre eux demande à Michel, discrètement :
- Qu'y a t-il, vous enterrez un mort ou quoi ?
- Non, nous regrettons un disparu, c'est pas pareil.
Le serveur ne comprend rien et Michel lui précise :
- Ne faites pas attention, poursuivez et filez.
Pendant ce temps, Michel part dans la pièce voisine. Françoise le rejoint alors dans la cuisine :
- Que cherchez-vous ?
- Il n'y a pas, il a bien dû prévoir le Champagne ! On ne sert pas pareil dessert sans Champagne, tout de même !!!
Il n'y a rien dans le frigo. Michel n'en revient pas. Ce n'est pas le genre de Marco d'oublier pareille situation.
- Peut-être est-il aller chercher du Champagne chez sa tante ? s'interroge-t-il.
- Vraiment, à cette heure-ci ?
- Il est prêt à tout, ce Marco, vous savez ! C'est sûrement ça.
- Vous avez le numéro de sa tante ?
- Non, mais j'ai mieux... J'ai le numéro de portable de Marco et...
Il regarde avec empressement sa montre :
- J'en étais sûr !!! dit-il. Venez.
Il la tire par le bras et se précipittent dans la salle. Les serveurs ont quasiment terminés. Michel sort une liasse de billets et leur donne un pourboire. Les deux jeunes sont ravis et leur souhaitent néanmoins une bonne fin de soirée.
Michel prévient alors les invités :
- Bon, commencez sans moi, il est 22 heures 33 ! et je vais appeler Marco sur son portable, comme prévu !
André lui demande s'il souhaite qu'il l'accompagne !? Non sans humour, Michel lui lance qu'il aimerait autant la présence d'une jolie femme à la sienne. Cela détend une nouvelle fois l'ambiance. Puis, il ajoute :
- Allez, remettez la musique, j'arrive. Françoise, venez avec moi.
Françoise n'osait pas lui proposer de peur de se faire rembarrer. Ils passent dans la pièce voisine à savoir la chambre de Marco où se trouve le téléphone. Il compose son numéro de portable de mémoire et atte