21/04/2008 Qui perd gagne (partie 3/4)
(...)
Au dernier feu qui nous sépare de la place de la Madeleine, je ne peux m'empêcher de tourner la tête une dernière fois en direction de Constance. Elle n'ose me regarder et reste statique. Je la sens un peu crispée. Le feu passe au vert et elle annonce pour rompre le silence :
- Bon, nous y voilà…
- Ça n'a pas changé ici, la ville est toujours aussi glauque. Je ne suis pas mécontente d'en être partie.
- C'est sûr. Je ne suis pas mécontente non plus d'en partir.
- Tu vas partir ?
- Oui. J'ai demandé ma mutation et cette fois-ci, je l'ai obtenue.
- Ah bon… eh bien, c'est génial… depuis le temps que tu attendais de retourner à la grande ville. Je suis contente pour toi !
- Mouais…
- Tu n'as pas l'air ravie ? Pourtant, c'était ton rêve !?
- Oui, quand j'ai fait ma demande… mais maintenant, tout a changé… Alors, ici ou ailleurs…
- L'herbe est toujours plus verte ailleurs, c'est pourtant bien connu !
- Peut-être, oui…
- Tu vas retourner vivre dans l'appart de ta sœur ?
- Oui, sûrement. Tu te souviens, je t'avais proposé qu'on aille y vivre.
- C'est amusant, à l'époque, j'ai refusé car je n'étais pas prête.
- Et pourtant, aujourd'hui, c'est toi qui vis à Lyon !
- C'est vrai. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
Je me surprends à me garer sur le parking situé derrière chez elle, celui-là même où nous adorions garer nos voitures l'une près de l'autre. Et je sors machinalement de l'auto pour la suivre. Constance n'a pas l'air surprise et part devant, comme au bon vieux temps. Je me précipite pour la rattraper et, à son niveau, la prends par le bras :
- Bon, Constance, eh bien, je vais te laisser.
- Tu ne veux pas venir dire bonjour à Caoutchouc ?
- Bah… tu sais… je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
- Tu lui manques, tu sais…
- J'imagine, elle me manque aussi beaucoup ! C'est pour cela, il ne vaut peut-être mieux pas…
- C'est bien toi qui voulais que nous restions amies, non ?
- Certes !
Elle venait de me coincer en beauté. Je ne pouvais plus faire marche arrière. Pourtant, je savais au fond de moi qu'il serait douloureux de retourner chez elle mais je ne pouvais lui refuser cette amitié que j'avais tant souhaitée.
Dans l'escalier, je restais soigneusement derrière elle. Je m'obligeais à regarder chacune des marches que je franchissais. Constance n'avait pas oublié la manie que j'avais d'observer son postérieur lorsque nous prenions les escaliers et me lança sans se retourner et amusée :
- Tu as vu, j'ai mis ton jean préféré ! On aurait dit que je savais que tu viendrais…
- Ah ? Ah oui, en effet…
- Tu entends ?
- Caoutchouc !?
- Oui et je dois dire qu'elle ne miaule pas de la même façon quand c'est moi qui arrive…
- Vraiment ?
- Oui. Elle va vraiment être contente de te revoir. Elle m'a fait la vie pendant des semaines, tu sais. Quand j'allais me coucher, elle boudait pendant de longs moments et restait devant la porte d'entrée à miauler. On aurait vraiment dit qu'elle t'attendait, tu sais…
- Ah !?... Au moins une qui m'attendait…
- C'est malin !
- C'est pourtant vrai.
La porte s'ouvre en grand et, en effet, Caoutchouc me fait la fête. C'est tout juste si elle ne s'est pas jetée sur moi. Une fois dans le salon, elle a repris sa place habituelle, à savoir sur mes genoux. Elle ronronnait tellement qu'on ne s'entendait quasiment plus. Elle se laissait papouiller et en redemandait. Elle me bousculait, me donnant comme des petits coups de têtes complices, c'était vraiment impressionnant et touchant.
- Eh bien, tu vois, je te l'avais dit…
- C'est fou ! Elle m'a toujours adoré !
- C'est vrai, dès le premier jour, elle t'a adopté. Tu es la seule qui la mette dans cet état. Elle est tellement sauvage d'habitude, même avec ma sœur ou ma mère. Tu as toujours su y faire avec elle. Tu l'as apprivoisé très vite. Un peu comme moi…
Je n'ose relever cette réflexion et continue de cajoler la petite Caoutchouc pendant que Constance s'affaire à sortir quelques victuailles pour l'apéritif et une bonne bouteille.
- Pas d'alcool pour moi, je te rappelle que je suis une sportive de bas niveau mais sportive tout de même !
- Hey, un bon Bourgogne aligoté comme tu les aimes ne se refuse pas… surtout pour fêter…
- … ma défaite !!!
- Tu es bête. Non, bien sûr. Pour fêter nos… retrouvailles, plutôt.
- …
- Allez, Caoutchouc, file manger dans la cuisine ! Laisse-nous un peu tranquille.
- Mais elle ne me dérange pas, t'inquiète.
- Je vais finir par être jalouse !
- Tu parles !
- C'est vrai, ce ne sont pas des manières que de se vautrer comme ça sur les invités…
- Je ne suis pas une simple invitée, c'est pour cela.
- Certes mais tout de même. Elle pourrait se retenir un peu. Est-ce que je me comporte ainsi avec mes invités, franchement ?
- Je ne sais pas…
- En même temps, tu l'as dit, tu n'es pas une invitée comme les autres…
Constance se jette sur moi au point que Caoutchouc, écrasée par l'assaut, se met à la cracher tout en se sauvant en courant.
- Tu as fait peur au chat !
- Je m'en fous, elle m'énerve, elle me nargue à se faire cajoler comme ça !
- Serais-tu jalouse de ton propre chat ?
- Tu veux que je ronronne comme elle, c'est ça ?
- Ecoute, je n'en demande pas tant mais je crois surtout que tout cela n'est pas raisonnable…
- Mais je n'ai pas bu, tu vois bien…
- Pas encore, c'est vrai mais à quoi bon, et après… ça va nous mener où tout ça ? Notre rupture m'a fait tellement souffrir que je ne suis pas prête à revivre cela une deuxième fois.
- Ne me fais pas rire, tu en meures d'envie autant que moi.
- Peut-être mais je sais aussi le mal que cela va me faire après… pour tenter une nouvelle fois de t'oublier.
- Mais pourquoi veux-tu m'oublier ? Tu sais comme moi que c'est impossible. Nous avons essayé mais c'est impossible !
Un silence persiste. Constance en profite pour me caresser, m'enlacer puis m'embrasser.
- Je ne te connaissais pas si entreprenante !
- Ne parlons plus du passé s'il te plait.
- C'est difficile de faire abstraction de cela pourtant…
Elle me susurre à l'oreille :
- Pardonne-moi. Je sais que je t'ai fait du mal. Pardonne-moi, me lance-t-elle une dernière fois avant de s'effondrer en sanglots.
- Hey, jeune fille, pleure pas… Allons… sèche tes larmes. Tu sais bien que je t'ai toujours tout pardonné. Je n'ai jamais su t'en vouloir de toute façon. Ce n'est pas à toi que j'en veux mais à moi et aussi à l'autre conne.
- Ne me parle plus d'elle, s'il te plaît. Elle n'a jamais compté, tu sais bien.
- Qu'allons-nous devenir ?
- Bah, je ne sais pas… tu n'as pas envie que l'on partage le logement de ma sœur, par exemple ?
(A suivre)