23/04/2002, Rencontre du 3e type !
Il ne rêve que d'une chose, rencontrer Françoise Hardy. Il trouve cette femme intéressante. Pas l'artiste et ses chansons qui lui semblent sans intérêt mais bel et bien, la femme. Et surtout celle qui est captivée par l'astrologie. Depuis qu'il l'a vu à son émission préférée « La route » sur une chaîne câblée, il ne pense qu'à elle et cherche un moyen de la rencontrer. D'abord, il aimerait lui dire, avec tendresse : « Françoise, je serai votre Jacques ! Mais moi qui aime comme vous la ville, je ne vous imposerai pas de vous déplacer à la campagne. De plus, je vous apprendrai la vie. Par exemple, je vous apprendrai à reconnaître les betteraves rouges, comestibles, aux betteraves à sucres ! Et puis, et puis... je vous serai tout dévoué, ma Françoise... Vous qui avez tant d'humour, je serai votre Pierre Palmade, vous serez ma Véronique et ce sera chacun chez soi ! Ah... ma Françoise... »
Jean rêvait à « sa » Françoise lorsque le téléphone a sonné. C'était son meilleur ami, Jean-François, qui lui demande s'il vient faire une partie de belotes avec eux, ce samedi. Jean reste d'une certaine façon avec « sa » Françoise et pris au piège de l'amour-passion lui répond sur un ton très sérieux et grave :
- Écoute Jean-François, je suis désolé mais je ne peux pas !
- T'as quelque chose de prévu ?
- Je ne peux rien te dire.
- Petit cachottier, t'as une nouvelle copine ? Tu peux venir avec elle, tu sais bien. Martine sera ravie d'avoir une femme à qui parler parmi toute cette horde de mecs débiles, comme elle dit. Et puis, elles joueront au rami toutes les deux à moins qu'elles ne préfèrent le Mille bornes, se met-il à rire.
- Non, tu te trompes. Et puis, ce n'est pas le genre à jouer avec ces cartes-là !
- Quoi, c'est une intellectuelle, en plus. Ne me dis pas qu'elle joue au Bridge ou au Tarot ?
- Non, non. Laisse tomber.
- Elle n'est pas française, alors ?
- T'as raison, y'a que nous pour jouer comme des cons à ces jeux-là !
- T'inquiète, je lui apprendrais le streap poker à ta lolita. Je suis sûre que c'est universel, ce jeu-là !
Jean-François, fier de sa blague, le salue en pensant bien que son ami les retrouvera, comme d'habitude, autour d'un bon verre d'alcool et de parties endiablées de belotes.
Mais le samedi en question, il n'en est rien. Jean est allé s'acheter un livre d'astrologie dans l'après-midi et décide de s'y mettre... Tout cela lui semble bien compliqué et il épluche, décortique son ouvrage, lorsque le téléphone le fait sursauter. C'est Jean-François qui s'inquiète :
- Alors, t'es malade ou t'es amoureux ?
- Les deux, sûrement, lui rétorque-t-il. Je t'avais dis non, c'est non.
Jean-François n'insiste pas, il sent que son pote n'est pas dans son assiette.
Jean passe la nuit à essayer de comprendre les astuces et la construction d'un thème astral. Lui qui n'est pas très branché par les maths et la physique ni même l'astronomie, s'étonne de pareil engouement pour les chiffres et les calculs planétaires.
Ses premiers essais ne lui semblent pas très concluants. Dès le lundi suivant, il décide de contacter une astrologue et lui demande de faire son thème de naissance. Il la trouve dans les petites annonces du gratuit qu'il reçoit. Il la choisit pour son annonce : « Françoise vous révèle votre avenir grâce aux cartes et à votre thème. Appelez-la au O8.... » Jean se dit que c'est peut-être un signe et puis, qui sait, peut-être que Françoise Hardy a sa propre société de voyance ? En tout cas, il ne risque rien. Il appelle un peu nerveux. Imagine, si c'est « sa » Françoise (Hardy) qui lui répond en direct ! La voix est plutôt sèche et peu aimable, Jean est un peu déçu, « sa » Françoise à lui est autrement plus douce. Ce n'est pas possible, ce n'est pas elle... Il se met à lui demander, alors qu'elle lui expliquait les tarifs sur un ton de simple commerciale : « Vous êtes la Françoise de l'annonce ? »
- Ah non, Monsieur, celle-ci, elle ne travaille pas par téléphone. Moi, je suis Sophie.
Jean raccroche, il déteste les Sophie. Trop prétentieuses à son goût. Elles ne sont bonnes qu'à coucher, à travailler dans des films pornos, des émissions de radio ou produire des émissions de merde à la télé, pense-t-il. Non, aucune Sophie n'a de classe, se dit-il. Il faut les fuir comme la peste et le choléra. En tout cas, se dit-il, ça se confirme, c'est sûrement pas la messagerie de « sa » Françoise.
Il décide d'aller vérifier sur internet ; il tente alors les sites de voyance en direct et de thèmes astraux. La liste est si longue qu'il abandonne. Il visite alors ceux consacrés à Françoise... mais... la chanteuse, cette fois-ci ! Autant vous dire que cela le déprime car la plupart de ses fans restent bloqués sur ses années yéyés. Alors que lui, je vous le rappelle, déteste la chanteuse mais aime la femme. De plus, il la déteste avec les cheveux longs ! Il ne l'aime qu'avec ses cheveux courts et grisonnants et son aspect garçon manqué sur le retour d'âge.
Jean est déçu de ses recherches jusqu'à ce que celles-ci ne le mènent au site de France Inter.
Il découvre alors que Françoise Hardy a été l'invitée vedette de l'émission de Stéphane Bern et qu'elle est l'une des plus fidèles auditrices du « Fou du roi » ! Il retrouve espoir et décide de se brancher sur les ondes, chaque jour, de onze heures à douze heures quarante cinq. L'idée de partager cette passion avec celle qu'il croit être la femme de sa vie lui donne la force de poursuivre ses recherches.
Mais très vite, penser qu'il écoute son émission préférée en même temps qu'elle ne lui suffit plus. Jean veut passer à la vitesse supérieure. Il décide qu'il doit aller travailler à France Inter. Mieux, il doit se faire embaucher à l'émission du « Fou du Roi ». Il est près à tout. Il quitte d'abord son boulot de chauffeur de train qu'était pourtant la Société des Non Chômeurs de France et qui le nourrissait très grassement pour aller travailler à la maison de la radio.
Il est prêt à tout et ira même jusqu'à coucher, s'il le faut ! Bien sûr, il aime les belles femmes, pour preuve « sa » Françoise ; aussi il lui serait plus facile de séduire et de se proposer comme homme à tout faire auprès de Mme Aduler mais, franchement, se dit-il, France Culture, ça n'intéresse personne et sûrement pas « ma » Françoise... alors...
Non, il se résigne pour France Inter. Tan pis, se dit-il, s'il le faut, je me ferais déniaiser le trou de balle par un assistant de Stéphane Bern voire même par le patron de la chaîne et s'il le faut j'irai jusqu'à la direction de la Maison de la Radio !
Je vous avais prévenu, Jean est prêt à tout !!!
Il se retrouve à la Maison de la Radio et débarrasse les plateaux repas des assistants des animateurs, des directeurs d'antennes et d'animateurs véreux. Seul le chef cuisinier de la Maison a bien voulu coucher ! Jean pense que cela ne valait pas le coup de quitter sa Société des Nons Chômeurs de France, pour si peu de plaisir. Mais, il ne faut jamais regretter ses choix même s'ils ne s'avèrent pas les meilleurs.
Et puis, Jean a fini par trouver une astrologue pour lui faire son thème astral. Celle-ci lui a parlé de sa bonne étoile... Il ne désespère pas. Elle n'est peut-être pas loin ! Cette astrologue travaille pour les radios de la Maison et donne la température quotidienne aux auditeurs. Jean est devenu copain avec elle. Il l'a trouvé en traînant dans la Maison ronde et en tombant sur sa petite annonce aux tableaux d'affichage, près de la machine à café qui le tient éveillé. Maryse proposait ses services aux gens de la Maison en échange de la modique somme de 100€ au lieu de 250 pour le thème astral complet et de 30€ au lieu de 60 pour l'heure de voyance-cartomancie.
Notre homme a donc trouvé sa femme de cartes ! Lors de leur première rencontre, Jean n'avait qu'une question :
- Comment rencontrer Françoise Hardy ?
Jean était alors tellement désespéré que Maryse, touchée par son histoire, lui a fait cadeau de sa séance, puis des suivantes. Puis ils ont fini par devenir amis. Même un peu plus, au fil des mois. Et même, fiancés, au bout d'un an et demi de vie commune !
Jean vit désormais une petite vie paisible aux côtés de Maryse, loin de Françoise mais proche de ses pensées et de ses cartes.
Maryse à leurs débuts lui a prédit une rencontre capitale dans sa vie d'adulte. Une rencontre qui va changer et bouleverser sa vie. Elle aurait tant aimé lui dire : « cette rencontre, c'est Mme Hardy. » Mais elle sait bien que non. Alors, pour lui faire plaisir, elle lui répète sans cesse qu'il finira bien par la rencontrer un jour, lorsqu'il l'aura oublié. Mais elle n'est pas assez convaincue elle-même et Jean sait qu'elle lui ment pour le rassurer. Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'elle a vu dans son propre thème et dans le sien : un bébé !
Maryse lui prédit cet enfant pour la fin de l'année et d'après ses théories, ce sera une fille. Elle sait déjà comment Jean souhaite la prénommer et accepte de lui faire ce plaisir.
Quelques semaines avant l'accouchement, Françoise Hardy doit se rendre dans les studios de France Inter à la Maison de la Radio puis doit y déjeuner avec les joyeux drilles de son émission favorite.
Maryse qui fait partie des confidences de son ami Bern, veut faire une surprise à son aimé et, avec la complicité de Stéphane, organise une petite rencontre.
Le jour J, en effet, ce dernier fait demander Jean qui est en cuisine. Jean pense alors qu'il est papa car sa femme Maryse est partie ce matin d'urgence à la Clinique.
Quelle n'a pas été sa tête lorsque Stéphane Bern lui a demandé de venir boire le café et pousse-café avec eux, en compagnie de son idole.
Lorsque Jean découvre celle qu'il estime désormais comme « son ex », il est déçu. Non mais qu'elle est vieille, se dit-il, et fripée. Même pas drôle, même pas... Sans intérêt, il la trouve sans intérêt. Non, vraiment, il en veut presque à Maryse de lui avoir tué son rêve ! Et puis, il ne se sent pas à sa place en sa compagnie et n'ose à peine lui parler parce qu'il ne souhaite qu'une chose, retourner au plus vite, faire sa vaisselle, bien tranquille en cuisine.
Ce qu'il fait assez rapidement. Mais avant de retourner travailler, encore écœuré, il se précipite sur son portable et appelle d'urgence la Clinique pour supplier sa future femme de ne surtout pas appeler leur fille Françoise, comme prévu, mais Sophie... C'est sûrement mieux, pense-t-il. Il faut conjurer le sort !
Marie Mahn
23 avril 2002