Marie Mahn

Marie Mahn

Réminiscences : Simone & Jean <3

Simone et Jean  

Simone a dû se résigner à laisser Jean, son amoureux depuis leurs treize ans, partir à la guerre non sans un déchirement. Cette jeune fille de tout juste la majorité, vingt et un ans, était pleine de vie, tout aussi joyeuse que lumineuse. Toujours prête à rendre service et à s’occuper de son prochain, un vrai rayon de soleil en temps de guerre. Elle, qui était née orpheline, avait pris l’habitude très jeune de s’occuper des plus petites du foyer de La Loyère près de Chalon sur Saône où elle avait grandi. Elle avait connu Jean lors d’une fête patronale qui réunissait les garçons de l’école de Fragnes et celle des filles de La Loyère. Leur rencontre et leur complicité avaient été telle une évidence. Et chaque année, ils se retrouvaient jusqu’à ce qu’à ce qu’à leurs quinze ans, ils décident d’un avenir commun à leur majorité. Jean qui avait la chance de vivre auprès de ses parents écrivait de longues lettres romantiques à Simone et égayait ainsi sa triste vie en foyer. Parfois, les parents de Jean, invitaient la jeune fille à passer la journée dominicale sous leur toit afin de lui rendre la vie un peu plus douce et chaleureuse. 

 

Simone dont la destinée avait plutôt mal commencé, pensait que la vie allait enfin lui sourire aux côtés de Jean… Elle imaginait sa vie de femme au foyer toute tracée dès lors qu’il lui avait évoqué l’idée du mariage. Elle se rêvait déjà avec plusieurs enfants au sein du foyer de celui qu’elle considérait depuis tant d’années comme l’homme de sa vie… quand la guerre a éclaté. Son homme était bien trop jeune et trop vaillant pour échapper au combat… 

 

Ce Bourguignon était rentré indemne et victorieux de la Bataille de Champagne. Malheureusement, son retour auprès de Simone fut de courte durée puisqu’il fut rappelé au front et ne put y échapper ; et cette fois-ci, il partait pour la Picardie dans la Somme… Il allait voir la mer pour la première fois mais dans quelles circonstances ? Il avait souvent rêvé emmener sa toute jolie y passer des vacances et envisageait même un voyage de noce dans un hôtel de luxe de la Baie de Somme… Bien évidemment, il n’avait pas envisagé s’y rendre plus tôt et sans sa petit Simone adorée pour y découvrir de nouvelles horreurs de guerre et y voir mourir ses camarades de combat. 

 

Simone, chaque semaine, était à l’affut des lettres de son grand gaillard. Des lettres d’Amour comme jamais elle ne pouvait imaginer dans ses rêves les plus fous en recevoir un jour… Bien sûr, il n’était pas évident de trouver papiers et crayons pour écrire en temps de guerre et surtout pour un soldat donc Jean était souvent obligé d’écourter ses écrits amourachés par manque de place sur son bout de papier ou ces quelques cartes postales d’époque fournies par l’armée. 

 

Jusqu’à ce dimanche 6 février 1916. Cet hiver-là était rigoureux. La campagne bourguignonne avait revêtu son manteau blanc… Cela faisait quelques jours que Simone ne se sentait pas bien, sûrement un début de rhume hivernal, pensa-t-elle, avant de se ressaisir et de se dire qu’elle n’avait pas le droit de se plaindre alors que son homme était au front et bien plus au froid qu'elle, sur des plages normandes certainement glaciales… Elle comptait les jours jusqu’à sa prochaine permission ; en espérant qu’elle lui serait accordée lorsqu’on frappa à la porte. Le garde-champêtre local était chargé d’annoncer les nouvelles du front que l’on ne préfère pas annoncer par écrit. Simone reconnut aussitôt Firmin et eut un temps d’arrêt en le découvrant sur le pallier de sa porte et recula par réflexe : 

- Oh non… fut sa première réaction.

- Simone Chancel ? Bonjour, je suis Firmin Garant, je suis chargée de vous annoncer que Monsieur Jean Fouillet, votre compagnon, a été gravement blessé hier, en Picardie. Il a été pris en embuscade avec ses compagnons et aurait essuyé les tirs d’obus d’un char d’assaut. Votre ami est le seul rescapé de l’escadron…

Simone ne savait pas si elle devait se réjouir de pareille nouvelle ; certes, Jean, l’Amour de sa vie était encore en vie mais tous ses compagnons avaient donc péris ? Fernand, Josselin, Pierre et les autres ? Des copains d’école bien avant d’être des soldats d’un même escadron ou d’un même régiment… Simone ne peut imaginer l’état psychologique dans lequel il doit se trouver s’il a perdu tous ses amis et compagnons de guerre. Elle devait néanmoins se réjouir qu’il n’ait pas perdu la vie… La sienne, si précieuse à ses yeux. 

Firmin restait assez évasif et se contenta de lui remettre le pli écrit et de lui préciser encore : il sera rapatrié prochainement à l’hôpital militaire de l’Ile St Laurent de Chalon… Par chance, le petit logement qui abritait leur amour est à quelques pas de ce lieu. 

 

Les jours suivants lui ont paru une éternité. Une nouvelle fois, Firmin, le garde-champêtre est passé la prévenir. Après 12 jours et 11 heures d’attente insoutenable, le blessé Jean Fouillet, était arrivé à bon port… Il lui était demandé d’attendre encore quelques jours avant de lui rendre visite. Simone s’offusqua et décida de se rendre sur le champ au chevet de son compagnon ou tout du moins à la rencontre de ses médecins ou infirmières. 

 

Difficile fut l’accès à cet hôpital militaire. De laisser-passer en laisser-passer, elle réussit à se frayer un chemin et à rencontrer l’infirmière en chef qui se rappelait avoir admis un certain Jean Chancel… Ce dernier était gravement blessé et la femme d’une cinquantaine d’années lui conseillait d’attendre encore un peu avant de le retrouver. Simone bouillonnait, elle ne pouvait croire qu’on lui demande de rentrer chez elle sans avoir revu son grand Amour. Elle se sentait suffisamment forte pour supporter l’insupportable de toute blessure que son homme aurait pu subir. Elle finit par convaincre l’infirmière qui lui proposa de se rapprocher simplement de sa couche de misère, ce lit de convalescence des plus précaires mais il fallait bien reconnaître qu’il y avait plus de demandes que de places et qu’il fallait bien trouver des solutions pour accueillir les hommes blessés… 

 

Simone se précipita dans la grande salle des grands blessés où ça gémissait le plus mais beaucoup de visages tuméfiés, de regards vides et de têtes bandées qui ne lui permirent pas de reconnaître Jean au premier coup d’oeil… L’infirmière qui avait eu du mal à la suivre mais la suivait du regard pu se rapprocher d’elle et la prit par le bras en lui proposant avec douceur et gentillesse de la suivre jusqu’à son lit, le numéro 23. 

 

Un homme silencieux avait la tête bandée jusqu’aux joues. Simone ne savait plus si elle devait hurler de joie ou comme lui, rester en silence. Elle décida d’emprunter l’attitude de rigueur et resta silencieuse en s’approchant de lui tout en délicatesse. Elle resta un instant médusée. Jean sortit de son état comateux et tourna la tête dans tous les sens : 

- Simone ? Simone ? C’est toi ?

Simone se précipita sur Jean :

- Oui, mon Amour, c’est moi… tu m’as reconnue malgré ton bandage ?

- J’ai reconnu ton parfum, ma chérie !

- Oh, mon Jean, tu es là, tu es vivant… Dieu merci !

Elle se précipita sur lui sans ménagement mais les gémissements de douleur de son compagnon ont eu raison de son élan de coeur. 

- Oh, mon Amour, qui a-t-il ? Ou as-tu mal, dis-moi ?

- Ce n’est rien, ma Simone, ce n’est rien, viens contre moi, je veux te sentir et te toucher, enfin… te prendre dans mes bras est mon meilleur remède… Viens-là.

Avant de s’éclipser, l’infirmière précisa à Simone que le soldat Fouillet devait se reposer et qu’elle lui accordait exceptionnellement un quart d’heure de retrouvailles pour aujourd’hui, pas plus. Il avait besoin de repos autant que de soins. Elle lui proposa de revenir le lendemain à la même heure afin de rencontrer ses médecins qui lui parleront alors de son état de santé. Simone, en future femme de soldat, s’exécuta. 

 

 01/12/2021

 

(à suivre)


23/04/2022
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